À hauteur d’oreilles, en prise directe avec la poésie élémentaire de la nature : l’art de Rolf Julius tient de la performance sonore chère à l’avant-garde expérimentale et de la sculpture in situ marquée par l’influence diffuse de l’Arte povera et de Fluxus.
Sorte de fils spirituel de La monte Young (l’auteur de Composition n°2, une pièce consistant à faire un feu devant le public), l’artiste glissait depuis la fin des années 1970 son esthétique discrète dans les galeries et musées mais aussi dans le désert, les arbres, sur des plans d’eau, des façades d’immeubles, des baies vitrées…
« Je crée un espace musical avec mes images. Avec ma musique, je crée un espace imagé. Les images et la musique sont équivalentes. Elles rencontrent l’esprit du regardeur et de l’auditeur et, dans son intérieur, il en résulte quelque chose de nouveau.»*
Son installation Large Black (1996-1997) illustre cette dynamique d’équivalence et de synesthésie : un grand haut-parleur devient le récipient accueillant quelques grammes de pigment noir qui s’agitent à la moindre palpitation de la membrane, incarnant le crépitement sonore en fragiles éruptions, fumerolles et nuages. Parfois, l’œuvre vient à la rencontre du corps (Music for eyes, 1981, où deux petits haut-parleurs se posent sur les yeux du visiteur telle une paire de lunettes pour regarder le son), parfois l’oeuvre se cache (Music for a bamboo forest, où les speakers se perchent aux branches des arbres en une présence quasi invisible). Cette relation au paysage resurgit dans de nombreuses installations : des haut-parleurs essaimés en archipel, sur le sol, sur les murs, le plus souvent de très petite taille, couverts de pigments rouges, noirs, parfois posés sur un pavé ou cachés dans un bol laqué empli de sable ou d’eau. Autant de micro-royaumes qui bruissent de mille rumeurs modulées, où s’entremêlent traces de piano, bruits urbains, sons de la nature et variations électroniques. La grâce singulière de l’oeuvre de Rolf Julius réside définitivement dans cette luxuriance délicate, née d’une économie de moyen absolue.
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*Interview de Rolf julius par Regina Coppola extrait de Large Black (red), University Gallery, Fine Art
Center, University of massachusetts Amherst, 2001.
Photo © Stéphane Bellanger
Portrait © Éva Prouteau – Revue 303 n° 106, “Estuaire, le paysage l’art et le fleuve”, 2009
POUR ESTUAIRE, ROLF JULIUS SIGNE AIR