Sorcier chaman guérisseur, magicien nomade, poète concret exilé, performer eurasien, bricoleur de génie, l’artiste iconoclaste Jimmie Durham, s’il ne revendique pas le stéréotype de ses origines cherokee, est un militant avéré du mouvement des droits civiques et de la cause indienne.
Son œuvre protéiforme combine assemblages, collages, objets hétérogènes, de la pierre au PVC, du réfrigérateur à la planche, du baril de pétrole au tronc d’arbre, des mots manuscrits aux dessins au fusain… Dès les débuts de sa pratique artistique, Jimmie Durham s’installe en Eurasie, fasciné par l’idée de ce continent infini. Alors que la scène américaine des années 1960 se voue au minimalisme ou au pop art, ses insolents détournements d’objets trouvés conscientisent la fracture de nos sociétés de consommation, dans son aspect le plus direct, le plus immédiat. Brisés, salis, mal fichus, ces rebuts de la société retrouvent un sens, une vie.
Fondamentale dans le glossaire des matériaux primitifs de Jimmie Durham, la pierre ; outil plus que monument, elle exacerbe la position antiarchitecturale de l’artiste contestataire de toute pensée ou opinion autoritaire. Avec une violence comique, la pierre lapide un réfrigérateur (Saint Frigo, 1996) ou tout autre objet apporté à l’artiste (Smashing, 2004), et un rocher naïvement maquillé détruit une voiture (Still Life with Stone and Car, 2004) ou semble encore avoir été brutalement lâché sur un petit avion (Encore tranquillité, 2008).
Dans le film À la poursuite du bonheur, avec Anri Sala dans le rôle de Joe Hill, Jimmie Durham manie encore avec une ironie bienveillante la figure de l’artiste et le fossé qui parfois sépare son monde de celui de l’art. Alter ego de Durham, Joe Hill glane d’hétéroclites matériaux jetés au bord d’une route, les assemble dans sa caravane-atelier, puis expose ses obscurs collages dans une galerie d’art.
La lutte entre nature et culture, sauvage et policé, tient aussi lieu de propos dans l’énigmatique sculpture Gilgamesh (1993), constituée d’une porte en équilibre, traversée d’un tube de PVC, d’une hache fichée dans le bois, d’une serrure et d’un bouton sur la tranche. « Une sculpture achevée de Jimmie Durham demeure toujours inachevée1 », en ce qu’elle institue un désordre que l’on perçoit savamment pensé, et offre une œuvre ouverte, image de la discontinuité du monde.
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Note
1. Laura Mulvey, Jimmie Durham, éditions Phaidon, 1995. Cité par Friedrich Meschede, L’Expulsion de Babel, cat. exp. Pierres rejetées, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris, éditions Paris musées, 2009.
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Photo © Stéphane Bellanger
Portrait © Mai Tran – Revue 303 n° 106, “Estuaire, le paysage l’art et le fleuve”, 2009
POUR ESTUAIRE, JIMMIE DURHAM SIGNE SERPENTINE ROUGE